Françoise Vergès (FR), 1952-

Portrait réalisé par Noémie Techer

Françoise Vergès est une historienne, journaliste, politologue et militante féministe décoloniale française. Elle est connue pour son travail militant, ses engagements, écrits et actions féministes et anti-racistes. Nous souhaitons l’évoquer ici pour ses nombreux travaux traitant de l’archéologie coloniale et plus particulièrement sur sa spécialité historique : l’esclavage.

 

Issue d’une famille militante, Françoise Vergès voyage très tôt entre de nombreux combats contre l’emprise coloniale et capitaliste de l'État français. Son enfance et son adolescence sont marqués par les luttes pour les droits civiques et contre la répression post-coloniale à la Réunion. Elle part en Algérie pour son baccalauréat ou elle connaît les luttes indépendantistes du FLN. Elle part ensuite en France ou elle milite au Mouvement de Libération des Femmes et édite le journal Des femmes en mouvement, ou elle rassemble des témoignages de femmes au Chili sous la dictature de Pinochet, puis au Salvador, au Nicaragua et en Union Soviétique. Elle quitte la France en 1983 pour le Mexique puis pour les États-Unis où elle reprend des études à l’Université de Berkeley. Elle y obtient son doctorat en documentant les relations complexes entre colonisés et colons à la Réunion. Elle s’installe ensuite en Grande-Bretagne pour enseigner puis étudier les problématiques de l'esclavage colonial et les phénomènes de créolisation par le prisme de théories politiques post-coloniales. En 2004 elle rejoint le Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage Elle en prend la présidence en remplacement de Maryse Condé en 2008 puis est nommé présidente au poste par décret en 2009 jusqu’en 2012. Elle travaille en parallèle durant ces années sur un projet de “Musée aux portées postcoloniales pour le XXIe siècle”, permettant de mieux inclure les questions coloniales et anti-racistes au sein des réflexions historiques et muséales. Elle est désignée en 2009 experte transversale, dans le cadre des états généraux de l'Outre-mer. Elle est faite chevalière de l'ordre national de la Légion d'honneur, le 4 avril 2010 en tant que présidente du Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage. Elle fut plusieurs années la directrice scientifique de la Maison des civilisations et de l'unité réunionnaise, qui fit inscrire une danse traditionnelle, le Maloya, au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. En 2014 elle est nommée titulaire de la chaire “Global South(s)” au collège d'études mondial de la Fondation Maison des Sciences de l'homme, jusqu'en 2018. Elle est nommée en 2017 au groupement d'intérêt public “Mission de la mémoire de l'esclavage, des traites et de leurs abolitions”.

 

Elle est l’autrice de nombreux ouvrages aux thématiques proches de ses combats et expériences : féministes, décoloniales, anti-raciste et anti-capitalistes. Certains de ses ouvrages et de ses articles sont assez connus et ont défrayé la chronique comme “Un féminisme décolonial” ou encore “Le Ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme”. En archéologie nous la connaissons principalement pour sa participation à des ouvrages plus conséquents, comme Archéologie de l’esclavage, archéologie de l’absence aux cotés de Jean Paul Demoule et Bernard Stiegler.

 

Dans ce dernier ouvrage, elle y défend une l’archéologie des espaces colonisés. L’histoire de l’esclavage a été principalement écrite par les colons blancs. C’est une histoire très factuelle, nous permettant de connaître les quantités de sucre, d’esclaves, d’argent qui ont été échangés, les ports par lesquels ils ont transité ou encore les familles à qui cela a profité. C’est une histoire faite de registres de plantation, de décisions de tribunaux, de carnets de gouverneurs ou d’actes de notaires. Au contraire, l'archéologie a ce pouvoir de pouvoir documenter la vie quotidienne de celles et ceux dont l’humanité a été rayée de l’histoire. De plus, Verges défend cette archéologie afin de faire sortir l’esclavage d’un récit d’exception. L’esclavage, comme le nazisme ou d’autres moments génocidaires de l’histoire blanche, sont souvent présentés comme des moments de barbaries sans liens avec le reste de l’histoire. Les négociants, les armateurs, le code noir, sont ainsi déconnectés du reste de l’histoire, ils sont présentés comme des personnes, des actes, des lois, horribles, inhumaines, que l’on ne saurait comprendre, tolérer et surtout côtoyer. Les travaux de Verges apportent ici une lumière très intéressante puisqu’elle lie cette histoire à la nôtre. L’économie ayant produit l’esclavage est la même dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Les familles s’étant enrichies pendant la période négrière sont les mêmes aujourd’hui qui possèdent les appartements, entreprises les plus riches de Nantes ou de Bordeaux. Les logiques qui ont mené les états occidentaux blancs à nier l’humanité des personnes déportées aux États-Unis sont les mêmes qui les poussent à nier celle des ouvriers chinois, bengalis ou congolais qui travaillent pourtant pour notre richesse. Civilité et goût, civilisation et modernité doivent exclure de leur champ la matérialité de l’esclavage, on ne voit nul part de figures d’esclaves sur les paquets de tabac ou de sucre, tout comme on ne le voit nul part de figures de chinois sur nos ordinateurs ou de congolais sur nos smartphones. La société coloniale a fait de l’esclave, tout comme la société capitaliste à fait du non-blanc une figure spectrale, qui n’existe que pour souffrir.

 

L’archéologie de Françoise Verges et ses travaux sur la muséographie apportent une lumière passionnante sur la manière dont nous traitons le corps étranger à travers nos récits.